mercredi 19 octobre 2011

Philosophie

Si vous vous aventurez par-delà cette petite porte de la rue Saint Maur,
dans le 11e arrondissement de Paris, vous arriverez dans une ancienne cartonnerie, 
transformée en plateau de tournage pour quelques semaines.
Dans ce passage aux allures d'autre côté du miroir, c'est aussi de réalités qu'il est question.
Réalités d'idées, de concepts, d'abstractions, dans lesquelles se reflètent corps, images,
et réalités quotidiennes.

C'est ici que se déroule l'émission Philosophie, émission présentée par Raphaël Enthoven
et diffusée le dimanche sur arte.

Le coffret, regroupant 30 émissions thématiques, ainsi que leurs bonus où se poursuivent
les discussions avec les invités, vient de paraître chez arte éditions. 
J'ai mieux connu cette émission en travaillant sur le graphisme de ce coffret. 
Faisons donc un petit détour autour de ce projet.

Cette émission est née d'une contradiction, d'un paradoxe.
Quand on a proposé à Raphaël Enthoven de faire une émission de philosophie
à la télévison, il fut tout d'abord sceptique. Car selon lui la philosophie à la télévision
ne serait pertinente que si:
— Cette émission était un plan séquence: filmée sans coupe, d'une seule traite,
afin de ne pas interrompre le cheminement de la pensée. 
— Les invités étaient choisis selon leur spécificité et non leur notoriété.
— Et si l'émission était en mouvement.
Pari à priori difficilement réalisable…
Ces arguments qui auraient dû être dissuasifs ont cependant de suite convaincus
la production A prime Group et la chaîne arte.

C'est le réalisateur Philippe Truffault qui s'est aventuré à réaliser cette émission.
Réalisateur connu pour son goût de l'expérimentation et des défis…
Pour mémoire, il avait déjà entrepris le délicat exercice du plan séquence avec
la série Mythologies, il y a une dizaine d'années…
Patchworks graphiques de treize minutes sur des personnages de la mythologie grecque.
Série télévisuelle sur laquelle j'avais déjà eu la chance de travailler.

Mais revenons à l'émission, et à son dispositif.
Chaque émission a une thématique: amour, cinéma, corps, travail…
Raphaël Enthoven reçoit un invité, spécialisé dans la thématique choisie.
On rentre de suite dans le sujet. Une fois l'amorce énoncée, Raphaël Enthoven et son invité dialoguent, leur esprit déambulant au rythme de leurs pas. 

De grandes images, comme des fresques, disposées ça et là dans la cartonnerie ou
dans la rue, rythment l'émission.
Les idées s'appuient sur des exemples visuels, elles donnent un point d'ancrage visible
à ces pensées.
Ancrages hétéroclites: peintures classiques, images de films, images "populaires" de magazines…
Images qui donnent parfois lieu à des interactions cocasses avec les invités 
(images d'avalanche avec Paul Clavier dans l'épisode sur l'Art…).

Si l'introduction, le point de départ, est connu par l'invité, le reste n'est qu'improvisation.
Ce qui fait que l'émission serait totalement différente si elle était tournée à un autre moment.
Ce "direct" joue donc, et se réjouit de ces aléas, des improvisations.
C'est dans les bonus des DVD que les discussions se poursuivent, et que chacun fait part
de ses regrets, ou des jubilations sur l'émission captée: celle qui sera diffusée.

Donc, on ne triche pas. Et c'est peut-être aussi parce qu'on ne triche pas avec le spectateur,
qu'il se sent à l'aise, en confiance avec la philosophie, et qu'il peut à son tour se faire confiance et oser philosopher.

Ce dispositif et ce ton directs permettent d'ancrer la philosophie dans le présent.
Ceci rend compte que si la philosophie joue avec des notions abstraites, dispute de "grandes idées", son support est avant tout "là et maintenant".

Grâce à tout cela, cette émission n'intimide pas, n'exclut pas.
Grâce à cette simplicité, cette accessibilité, on ose s'interroger.
Elle donne envie.